Le monde
du travail

Explorer l’industrie, ses lieux cachés et ses gestes rares, c’est franchir la frontière invisible d’un monde méconnu, exigeant et pourtant d’une richesse visuelle inépuisable, où se révèle la face cachée de notre société moderne.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Les reporters photographes ont le privilège de l’explorer jusque dans ses régions les moins connues, les plus inaccessibles, les plus mystérieuses. Mais je ne vous parle pas ici de pays exotiques, de contrées lointaines, mais de terres encore plus inconnues : Le monde industriel, ses usines, ses paysages et ses ouvriers et ouvrières. Un monde peu accessible pour raison de sécurité, de confidentialité et de contrôle de l’image.

Un monde éloigné des regards, abrité par de hautes clôtures et de longs murs, des barrières et postes de sécurité où des affiches représentant un appareil photo barré dans un cercle rouge vous signifient qu’il est « interdit de photographier ».

Un monde en lente agonie qui, dans nos sociétés désindustrialisées converties aux services et aux nouvelles technologies du numérique, continue encore de souffrir d’une image négative. Mais un monde, contre toute attente, pour le photographe, d’une inépuisable richesse visuelle qui redéfinie, à chaque instant, les règles artistiques. Un monde qui propose à celui qui sait le regarder, tout un imaginaire poétique singulier.

Le caractère dual de l’industrie, bruyante, malodorante, polluante, dangereuse mais en même temps pourvoyeuse de produits de consommation indispensables, créatrice d’objets rutilants et autres marchandises désirables, fournit au photojournaliste un matériau d’inspiration et de réflexion extraordinaire sur notre société d’abondance.

Rares sont les photographes à se passionner pour cet univers inhospitalier et difficile à photographier tant les contraintes y sont grandes. C’est pourtant la terre de toutes les promesses pour les passionnés de l’image. Toutes les formes de photo y sont présentes, la photo de paysage (industriel), la photo d’architecture, le portrait, le reportage, la photo documentaire, la nature morte, la photo conceptuelle,…Tous les traitements et compositions y sont possibles. Noir et blanc ou couleur, réaliste ou abstrait, social ou publicitaire.

Pousser la porte d’un site de production de tablettes de chocolat ou de puces électroniques c’est passer de l’autre côté du miroir de notre société de consommation, c’est découvrir la face cachée de l’étiquette. C’est gravir des montagnes de matières multicolores, marcher sous des pluies d’étincelles et traverser des rivières de métal, c’est se perdre dans des nuages de vapeur ou le labyrinthe d’un entrepôt de logistique.

Mais les dernières mines et hauts fourneaux ont disparus de nos territoires. Plus d’industrie textile ou d’usines pour fabriquer nos appareils ménagers.

Je me rappelle être descendu à plus de 1200m de fond avec les derniers mineurs lorrains ou d’avoir assisté à la mise à l’eau du dernier méthanier aux ACH (Ateliers Chantiers du Havre) il y a 20 ans. Aujourd’hui les forteresses industrielles aux fières tours et cheminées de brique ont laissé la place aux usines 3.0.

Rangés les casques et bleus ; des vestiaires ce sont désormais des ouvriers de blanc vêtus qui gagnent leurs postes de travail charlotte sur le crâne et masques de chirurgien sous le nez.

Un défi pour le photographe qui doit réussir à traduire cette esthétique nouvelle, plus sobre et souvent déshumanisée mais puissamment évocatrice de notre monde moderne.

En action !

Exemples d’interventions au cœur des métiers : des cas pratiques où chaque reportage devient une histoire d’entreprise, de savoir-faire et d’humanité, racontée à hauteur d’homme, dans la vérité des gestes et la lumière des lieux.

ROLL’S ROYCE MARINE

Les sculpteurs d’Hélice

Sur le site de Roll’s Royce Marine à Kristinehamm en suède, la prestigieuse firme britannique construit des hélices géantes pour paquebots, porte-avions, supertankers ou ferries. Elle a équipé le Queen mary 2 et fournit l’US Navy et la Royal Navy. Des pièces en bronze ou acier inox de très haute qualité qui font jusqu’à 10 mètres d’envergure et peuvent peser 20 tonnes. Elle apporte à ces hélices le même soin qu’elle portait à la fabrication de ses voitures de luxe. La moindre irrégularité sur la surface d’une pale nuirait à sa performance. Les ingénieurs et ouvriers suédois sont passés maitre dans l’art d’accorder la forme d’une hélice à une coque afin de privilégier soit la vitesse (paquebots), soit la puissance (cargos) soit encore la discrétion (navires de guerre) selon la fonction du navire.

Dans l’usine de Kristinehamn en Suède un ouvrier ponce une hélice de fabrication Roll’Royce

Ferrero

Dans les coulisses de l'usine Nutella®

Un pot de Nutella sur trois vendu dans le monde sort du site normand de Ferrero près de Rouen. A l’époque où j’ai réalisé ces photos ça représentait 800 000 pots par jour et plus 2,6 millions de Kinder Bueno. Jamais avant moi un photographe avait franchi ses portes. Et autant dire tout de suite que je ne suis pas sorti les mains vides au bonheur de mes deux fils. Le reportage, comme tous les reportages en agroalimentaire n’a pas été simple. La confidentialité du process, les contraintes de sécurité et la matière que l’on ne voit jamais ne facilite pas le processus de création artistique. Je suis heureusement familier des environnements industriels et à l’aise dans cet exercice photographique.
Une fois nappées de chocolat les kinders Buenosont refroidies progressivementdans un tunnel de 100m de long. Unsine Ferrero près de Rouen.

Dans les cuisines de la

COSMETIC VALLEY

Crée à l’initiative de Jean-Paul Guerlain, le pôle de compétitivité français de la filière parfumerie-cosmétique compte des centaines d’usines, labos et ateliers consacrés à la fabrication de rouges à lèvres, shampoings, fonds de teint, fards à joue, crème hydratante et parfums. Pendant des jours j’ai ouvert la porte des cuisines de Guerlain, Hermès, Clarins, Chanel et autres leaders de la beauté made in France.
Fabrication de rouges à lèvres Guerlain à Chartres

Safran Aircraft Engines

65 000 CHEVAUX SOUS LE CAPOT

Le français Safran Aircraft Engines, champion mondial du moteur d’avion a toujours son carnet de commandes plein. Dans son usine de Villaroche, en Seine-et-Marne il assemble les turbo-réacteurs Leap conçus pour les Airbus A320 neo et les Boeing 737 Max. Chaque moteur est un puzzle de 25 000 pièces dont certaines pour gagner du poids et réduire la consommation, sont en composite de carbone. Leur puissance de 65 000 chevaux est équivalente à 500 moteurs de voitures.
Chaine de montage des moteurs Leap àl’usine Safran de Villaroche en Seine et Marne

L’ORÉAL

Paris, new-York, Rio, Johannesburg, Berlin, Mumbaï

Je ne distingue pas réellement mon travail corporate de mon travail de photoreporter ou industriel. Si le client me choisit c’est que mon style d’image lui convient. S’il me rappelle c’est qu’il est satisfait. Et quand la relation dure plus de 10 ans c’est qu’une relation est installée. On parle le même langage, on se comprend sans avoir besoin de briefs interminables, il peut m’envoyer au bout du monde accomplir un shooting sans même m’accompagner. Ce fût le cas avec L’Oréal et son département de recherche. Avec ou sans sa directrice j’ai voyagé dans de nombreux pays, posé mes valises à New-York, Mumbaï, Rio de Janeiro, Johannesburg et ailleurs pas parce que je le vaux bien mais parce que je le fais bien.
Tests de maquillage en Saun. Laboratoires L’Oréal de Rio au Brésil.

NORMANDIE

Terre d’adoption

Le choix de la Normandie il y a 20 ans, n’était pas pour y travailler. J’ai poursuivi mon activité de photographe à Paris, en France et partout ailleurs dans le monde pour ne retrouver ma verte vallée de l’Andelle qu’une fois les reportages bouclés. Ma rencontre avec le Conseil Général puis avec Caux Seine Agglo m’ont révélé un territoire extrêmement riche et passionnant que je n’imaginais pas. Au point où aujourd’hui je pourrais ne plus quitter les limites des frontières de la Seine Maritime et prendre autant de plaisir que j’en ai pris en Australie ou en Bosnie Herzegovine. Les opportunités de photos y sont nombreuses dans les secteurs où j’ai acquis, je crois, un savoir-faire efficace : L’industrie, le tourisme, le portrait. Mais il y a autre chose. Comme une envie, pour le photographe sans racine que je suis, de m’identifier à un territoire, de m’investir dans mon foyer d’adoption. Et par ses temps de crise climatique je ne suis pas mécontent de réduire mon empreinte carbone.

Église Saint-Joseph du Havre depuis la terrasse d’un immeuble Auguste Perret